mercredi 10 août 2016

Rien de plus...

Mon Dieu que le temps passe. Voilà une éternité que je n'ai plus rien publié sur cette page. Pardon cher lecteur pour mon irrégularité. J'ouvre souvent ma grande gueule, mais seulement quand j'ai un truc à dire. Sinan c'est silence.

Si vous n'êtes pas pareil, je vous invite à l'essayer, le silence. 

Le néant.

 Au brouhaha des villes, à l'invasion des campagnes par le tumulte merdotechnique des smartphones, applis et notifications de réseaux associaux, un seul remède : le mutisme.


Le bruit de l'eau, pourquoi pas. Le chant d'un piaf, aussi. Mais pas une parole, pas un mot, pas un son étranger. L'ennui. Je rêve d'ennui. D'avoir l'opportunité de me vautrer dans l'herbe déjà sèche, et de ne rien faire. 

Voilà où j'en suis. 

Pour ceux qui aiment à suivre des aventures halieutiques, c'est foutu, pardon. A l'occasion, promis, je vous donnerai des news de rivières et de fantasmes dorés qui mangent des mouches.

Mais pas tout de suite. Je veux m'ennuyer. Je n'ai pas trop envie d'aller emmerder mes truites chéries de la Fecht. Le mois d'août n'est, de toute façon, pas le plus propice. Encore que cette année, nous voilà quasiment en automne avant l'heure. Mon Dieu que le temps passe. La dernière news c'était en hiver, l'an passé.

Et nous, où en sommes nous ? Au printemps fleuri ? A l'été épanoui ? A l'automne flamboyant ? Ou à l'hiver de notre passage ici ? 

Toute la bien bien-pensance nous invite à vivre chaque instant, et gnagnagni et gnagnagna, vis chaque jour comme si c'était le dernier, profites de chaque instant, prends-toi en photo, share sur les réseaux, aime les trucs de fou que font tes semblables, partage, fais envie aux autres, fais de la promo, aides-les à consommer comme toi. Tu peux même crever dans une falaise en chassant des POkémon, allez, un effort quoi merde !

Nan nan, juste de l'ennui. Au bord de l'eau, mais du bon ennui bien gras, bien profond. 

Comme c'est bon de se faire chier...



samedi 5 décembre 2015

L'Autoéclosion, prince du casse-dalle

Le salaud, l'ordure, le fumier. Il a viré sa cuti.

Je vous avais promis il y a près d'un an, un article sur le phénomène : l'Autoéclosion. Le seul type du coin à pouvoir déclencher une éclosion par la force de la pensée. 

Pire, le seul gars du monde entier à être capable de faire gober (sic), à une bande d'ombres mal embrassés, qu'une éclosion se produit... à la seule force du poignet.



10, 100, 1000, le diable enchaînait jusqu'alors les passages d'une sèche approximative au cours de dérives qui ne l'étaient pas moins. 

Agacés par tant de monstruosité ou lassés de voir passer des mouches apocalyptiques, truites et ombres se mettaient à table. Toujours.

A mesure qu'il enchaînait les rencontres avec la gent piscicole, son sourire s'élargissait. 


Surtout si à côté, Monsieur votre serviteur se cassait les dents, et joliment : posé cloche, mending, dérive parfaite, nymphette lestée juste comme il le fallait. 

Nada, walou. 

Affamés par les 1001 dérives du classique CdC olive, les rigolos ne mangeaient plus sous l'eau.

Alors forcément, des fois ça riait jaune, ça grinçait des dents.


Mais ça c'était avant. Le type s'est offert cette saison, une bonne 10 pieds pour soie numéro 4. Et surtout, surtout, quelques kilos de tungstène. Le mec pêche en nymphe maintenant. Pas toujours, mais quand même. 


Que vous raconter de lui à présent, donc ?

Qu'il continue à me mettre des piles, subaquatiques cette fois ? C'est un peu vrai. 

Que j'adore le regarder pêcher ? Au risque de passer pour un dangereux voyeur, je dois le reconnaître. Oui, il a du talent même s'il ne s'en vante pas. Mais surtout, ce type est un gosse.

Je ne connais que peu de pêcheurs qui sont capables d'avoir tant d'étoiles dans les yeux au moment exact où ils lèvent le bras en tirant simultanément sur la soie. Des qui s'émerveillent sur la robe d'une truitelle, et trouvent "la plus belle du monde" une petite noiraude de la Fecht.


Des qui trépignent à l'idée de sortir, et qui s'excitent au bruit de l'eau, et qui tremblent sur leurs cannes quand ça tire fort au bout.

Ces mecs là sont l'essence même de la pêche. Des grands enfants qui jouent.

Comme quand les gamins font leurs caprices, des fois ça râle un peu, quand ça pêche pas comme on veut. Combien de "qu'est-ce qu'on fout là bordel", rien que cette saison ? 

Combien de "mais tu pêches sur quoi put... ?", de "saloperie de formule de bas de ligne de merde", de "con de vent ?"

Je ne les compte plus. 

Pour autant, on se raccroche toujours à la quête suprême de l'instant idéal. 

Du jour où ce sera comme dans nos rêves : un temps doux à lourd. Une végétation en pleine explosion. De l'eau claire, réglée juste au bon niveau. Des poissons actifs, mais taquins. Faudrait pas non plus que ce soit trop facile, on prendrait le melon.

Et puis un bon casse-dalle sur les berges de la Fecht, de la Moselle ou de toute autre rivière secrète d'Alsace ou d'ailleurs.





 Avec le recul, je crois qu'un casse dalle n'est bon qu'à deux conditions :
  • Qu'il soit un temps de repos avant ou après un gros boulot : comprenez, une de ces périodes de frénésie où on oublie de compter les points. Ces courts moments d'où l'on ressort le gilet bardé de mouches, avec pour toute pointe un moignon de fil que l'on n'a plus eu le temps de changer.
  • Qu'il soit partagé avec un de ces grands gamins, qui fantasment sur de petits ronds dans l'eau, et que ça rigole sec.
Partant de là, une tranche de jambon, un bout de saucisson, surpassent largement paon ou cailles rôtis.

Sinon, ce ne serait jamais qu'un rapide rituel alimentaire, dans le froid et le vent (cf. "Mais qu'est ce qu'on fout là bordel ?").

Pour ce qui est du casse-dalle, l'Autoéclosion est un vrai maître spirituel : urbain, Allemand, rapide ou amélioré, il maîtrise le casse-croûte mieux qui quiquonque. Une sorte de star du Vieux-Pané, un artiste du canif, un prince de l'entrecôte grillée, un guide Michelin du routier miteux :


Quand le dos fait mal, que les doigts restent crispés sur le liège de nos cannes, l'Autoéclosion déclare ouvert, le temps du break. Et là plus personne ne rigole.

Oh bien sûr, il est des jours où l'on fait grise mine. Mais sitôt le festin déballé, le cœur se réchauffe, les articulations s'assouplissent, les zygomatiques s'agitent. Alors, les jours où "c'est pas dehors", et bien, on n'est jamais "venus pour rien".

A présent que voilà le froid, et très bientôt la période de trêve, je pense qu'on peut les compter sur les doigts d'une main, nos futurs casses-dalle, vieux.

Mais la saison prochaine c'est sûr, nos épouses respectives jalouseront encore, encore et encore nos escapades loin du monde... Et peut-être rencontrerons-nous un de ces précieux moments de félicité ?



(Juste comme ça, le bonhomme aime bien laisser ses boîtes à mouches sur les berges de la Fecht... Si jamais vous tombez sur celle-là, vous saurez dorénavant à qui elle appartient...) :



@ bientôt sur les berges,

Gilles, 










mardi 29 septembre 2015

This is the end, my friend...


This is the end, my friend.

La saison est terminée. Enfin, la saison où l'on peut, réglementairement, pêcher en 1ère catégorie. Où l'on peut, réglementairement, s'amuser. Où l'on a le droit, réglementairement, de rire au bord de rivières qui nous font fantasmer 8 mois de l'année. 

Car des dinosaures, qui gèrent la pêche par ici (comprends : qui boivent des canons en causant de la grosse truite baguée qu'ils ont pris lors de la dernière journée "carpes frites" dans le trou à pisse du coin, cette prise mémorable qui leur fait gagner un dîner pour 2 à la Stuwà de Chérard), des dinosaures donc, restent persuadés que les truites de nos contrées frayent dès la mi-septembre. 

Déconnes pas, c'est un rapport officiel de feu le CSP, daté de 1948, qui le dit. D'ailleurs, même le Braco Français d'octobre 1952 en parle, alors !

Bon, dans certains des coins de 1ère catégorie que l'on fréquente, il n'y a plus de truites. Oui mais il faut aussi penser à protéger les ombres, de sorte qu'ils soient moins méfiants quand leur pêche sera à nouveau possible : tu sais quand ils seront en pleine fraie. Comme ça on pourra les cartonner même avec nos montages grossiers, car ils auront oublié...

This is the end, donc.

Certes, je suis un peu amer, car la saison de la 1° est finie. Une drôle de saison. Je t'avais promis, l'hiver dernier, que l'on crèvera sur des radiers au mois d'août. Je ne t'ai pas menti. D'ailleurs, je suis sûr que certains poissons en ont fait de même, cet été.


C'est même sûr, à Munster par exemple. Oui, cette pollution connue des services de l'Etat, de la municipalité, ben elle a fini par tuer les poissons. Pas sur un gros linéaire, nan, fort heureusement. Mais elle les a tués.


Des salauds. 

Des mecs qui n'ont rien dans le slibard. 

Des AAPPMA qui arrivent à minimiser la casse en ne retrouvant qu'une cinquantaine de poissons crevés, et encore, des pas maillés, alors ça va. 

Ce n'est pas faute de les avoir prévenus, plus d'un mois plus tôt. Mais que veux-tu. Les burnes ça ne pousse pas comme ça.


Je suis vulgaire aujourd'hui, alors j'arrête. This is the end là aussi.

On arrête tout. On se concentre sur le meilleur. On se dégage du temps, on ira pêcher ensemble, vite, souvent. Parce qu'à ce train là, ça ne durera pas. On est peut-être parmi les derniers chanceux à prendre des pyramides de vraies truites. Alors profitons.

This is the end. Jusqu'à la prochaine fois.

Gilles.




jeudi 25 juin 2015

Matin...

Vous n'avez jamais vu l'aube. La vraie. Pas celle du premier train de banlieue.

Seul le pêcheur sait le goût exact du matin, le goût du pain et celui du café de l'aurore. Il a, seul, ces privilèges exorbitants.

Né subtil, il n'en parle pas. Il garde tout cela pour lui. C'est un secret entre le poisson et lui, l'herbe et lui, l'eau et lui.

Ce bonhomme ridicule, maniaque et grognon vit, dieu merci, dans un autre monde que celui où l'on se paie sa tête, quitte à le remplir d'inquiétude, ce monde louche, quant aux dates des consultations électorales. 

Il est dans l'aube comme le poisson dans l'eau. Vous aurez beau vous lever tôt, à la même heure que lui, vous n'entrerez jamais dans son matin, qui n'a pas la dimension du vôtre. Vous n'êtes pas à plaindre. C'est bien fait pour vous. Vous qui ne savez pas, et ne saurez jamais, pêcher la lune, n'espérez pas vous introduire dans le jardin d'Alice. Quand bien même franchiriez-vous l'invisible fil de fer barbelé qui le protège, vous n'y verriez goutte. 

Que du bleu. Que du feu.

Restez chez vous. Vous n'êtes pas du peuple élu, du peuple des eaux et des roseaux.


René FALLET, Les Pieds dans l'eau.


Je sais, lecteur, que ces mots ne sont plus un scoop, que chaque blog de moucheux publie, une fois dans son existence, ces quelques lignes de Fallet. Alors pour moi, c'est fait.

Jamais je n'ai trouvé de mots plus justes pour décrire mes matins. Une incantation, un prêche. Mes matins que j'aime, préludes de journées où il est possible de toucher du bout du doigt, un fragment de liberté.

Belle journée à vous,

Gilles,

samedi 23 mai 2015

Jouet cassé...

Mon jouet est cassé. Je n'ai plus le goût à la pêche. Ou tout du moins à certaines pêches. Les gobages d'ombres ne me font pas fantasmer, ni les possibilités de dérives prolifiques, en nymphe sur la Fecht.



Oh, je sais que tout ceci n'est que passager, un vague à l'âme de quelques jours tout au plus. Mieux, je sais d'où cela vient. Laissez-moi vous le conter ici, il faut que je le dise pour atténuer le mal que m'a fait, en début de semaine, un poisson.

Pardonne-moi lecteur, pour les divergences de temps que compte le texte suivant. Je suis encore un peu là bas. Mes yeux sont encore entre une veine de courant et une bordure de marne putride, à l'attendre.

Ploc.

Ploc.

On s'est rencontrés comme ça.

Je crois maintenant qu'il aurait mieux ne pas fallu s'arrêter sur ce gobage discret en berge. J'avais laissé quelques instants plus tôt mes compères, attiré par une partie cachée et quelque peu glauque de la rivière.


Les 2 compères étaient occupés avec des ombres... Je me suis éclipsé...



















Devant moi, une belle veine de courant menait des voiliers de petites olives en émergence. Les ombres attablés s'en gavaient littéralement.

Ploc.

Discrètement à ma droite, un énorme bec perce la surface pour se saisir de la manne providentielle qui arrive dans le calme, juste en bordure de la veine. 

Ploc.

Le bec se referme sur un énième imago vite engloutit.



Dans la lumière pâle d'un ciel voilé, je distinguais derrière le bec ce poisson : une truite. Mais pas juste une truite, hein. Une truite. Du bec, mes yeux partaient vers l'aval, pour voir où en était la queue. Fichtre, je ne me souviens pas avoir déjà vu une telle distance séparant les 2 extrémités d'une fario. Un sous-marin. Un sous-marin ! 


En rouge, la tête
En vert, la queue.
Pour l'échelle, la rivière fait environ 12m de large.
Un sous-marin.
Peut-être que j'exagère un (tout petit) peu, mais...

Un sous-marin qui mange tranquillement à 10 mètres de moi. Un sous-marin qui ne m'a pas vu. Une de ces bêtes dont on entend parler le soir, après la pêche, quand, sortis de leurs rêves ou plongés dans la torpeur de quelque alcool, les pêcheurs se remémorent "l'avant".

J'ai passé un temps fou à la regarder. Chaque trouée de nuages me donnait l'occasion d'entrapercevoir son bec féroce, sa tête trapue, son adipeuse démesurée, son battoir de compétition. Instantanément je crois, je l'ai aimée. Le coup de foudre. 

Comme dans toute rencontre amoureuse, au coup de foudre s'est succédé le désir ardent de combler les sens. La toucher. La caresser. La sentir. Ne sont plus devenus qu' insidieuses obsessions.

Au boulot, gros. Il y a plus qu'à la cueillir. Je sais qu'un pareil engin a dû en voir passer des artifices de pêcheurs. Je sais qu'elle n'est pas née de la dernière crue. Mais bon, je suis pas plus con qu'une truite quand même. Celle-là, je vais la baiser. Non, ce n'est pas le terme adéquat. Je vais l'étreindre.

Lentement, je détache ma mouche de la poignée de la canne. Une petite olive en 16, ailes sombres. Pile ce qui dérive et qui m'a rapporté quelques poissons. Un bon point.

Ma pointe est propre. En 14, ça va passer tranquille. Assez longue encore, je l'ai refaite il y a peu, par hasard.

Doucement, je tire le filin des anneaux de la canne. Sors la soie du dernier anneau. La belle ne bouge pas. Elle mange.



J'ai l'impression de ne plus oser respirer, comme si le mouvement même de ma cage thoracique pourrait la mettre en alerte.

Une clope. J'ai besoin de fumer, comme pour me donner du courage. Cacher le paquet de tabac jaune criard, qu'elle pourrait voir comme une intrusion dans le paysage de verts tendres de la rivière.

C'est l'heure. Je ne sais plus trop si j'ai envie de l'attaquer. J'aime la voir onduler dans son courant. Mais que faire d'autre : elle est là, je suis là. Je suis même venu pour ça. Alors courage.

Un faux lancer, deux, poser parachute, délicat. La petite olive glisse lentement vers elle. Bientôt doublée par une autre, vraie celle-là. Ploc. Merde, pas pour moi ce coup là.

Je répète  l'opération : deux faux lancers, etc. Cette fois c'est la bonne : mon imitation passe parfaitement, elle n'est en concurrence avec aucune autre. Elle arrive devant la belle. Qui se décale, fait demi-tour, passe à 3 mètres de mes pieds, fonçant vers l'aval.

C'est foutu. Je la suis des yeux, à la fois peiné et surpris de son comportement. J'avais pourtant fais tout juste, faut pas me raconter qu'elle m'a grillé. Le sous marin se recolle à la berge d'en face, 5 mètres en aval. Puis remonte lentement sur son poste. Ploc. 



Ploc, ploc. Soupir de soulagement. Juste une balade digestive certainement. L'occasion de me rencontrer à son tour. Maintenant on se connait.

Je convoite une belle à la mise parfaite, elle est convoitée par un gros ours mal rasé.

Na pas bouger. Pas de geste brusque.

Une clope.

Combien de temps cela fait-il que nous nous sommes rencontrés ? Une éternité. J'ai des fourmis dans les orteils. Ça caille bordel. Je m'autorise à lever le pied gauche. Juste de quelques centimètres. Je bouge mes orteils, doucement, sans troubler le silence.

Elle n'est plus là. A-t-elle arrêté de manger ? Avec tout ce qu'elle vient de s'envoyer, elle peut être repue.

Ne bouge pas. Elle reviendra. Elle craquera avant toi.

Elle se remet en poste. Mais ne mange pas.

Ne bouge pas. Pas de vague. Tiens, ça plairait à des anciens camarades fonctionnaires ça. Pas de vague. J’aurais à jamais à l'esprit, l'image d'un chef de service lorsque, jeune fonctionnaire prêt à sauver les rivières, je m'entendais dire "je m'en fiche pas mal de tout ça. Du moment qu'il n'y ait pas de vague". Partout en France, des rivières crèvent parce qu'un érudit blasé ne veut pas faire de vague.



C'est fou ce qu'on peut gamberger quand justement, on essaie de ne penser à rien.

Ploc.

Je retente. Elle a pris un truc, ce pourrait être ma mouche. Mais je n'en suis pas sûr, il y a tant de trucs sur l'eau, et je n'y voit goutte avec ces satanés nuages. Je ne ferre pas, si ce n'est pas sur ma mouche, s'en est fini. 

Ploc. Ploc. Elle remange plein pot.

C'est le moment. Je change de mouche, pour un truc plus visible.

Jean m'avait donné il y a peu une mouche improbable, imitation d'exuvie mal formée. Elle est claire, je pourrais la voir. Vérification de ma pointe, changement de tas de plumes.

Une clope.

C'est idiot, la fumée me pique les yeux et n'aide pas à mieux visualiser ma dérive.

Mais c'est bon, ça passe crème.

Un loriot chante dans le bois, derrière moi : je le sais loin, pourtant j'ai l'impression qu'il crie sur mon dos. Les sens sont exacerbés. Sans la boire et en dépit du tabac, je sens le goût métallique de l'eau dans ma bouche. Impression d'être la rivière.

Le lancer est acrobatique, le poser parfait. Doux. Naturel. L'exuvie est posée au ras de la berge.

Lentement, la belle idylle se retourne. Elle approche son nez de la marne gluante, inspecte la tas de plumes. Lentement, son bec crochu crève la surface. 

Le temps s'est arrêté, je ne sais plus respirer. Inutile de respirer quand on est une rivière.

La mouche va bientôt disparaître dans son gouffre. Rappelle-toi les sorties de ton adolescence sur le Vieux-Rhin : ne jamais ferrer les grandes truites au gobage. Toujours compter jusqu'à 2.

Un tourbillon devant son museau.

1.

Une fois piquée, je me jetterai à son aval pour l'empêcher de regagner ce tas de bois. Ce ne sera pas joli, mais c'est la seule solution pour ne pas la perdre.

2.

Je ne lui laisserai pas 1 centimètre de répit.

Sans bien m'en rendre compte, mes deux bras ont bougé. Le droit est monté d'un coup sec. La main gauche a opéré une légère traction sur la soie.

C'est lourd, bordel. Mais qu'elle est lourde. Je saute dans son trou.

La canne est cintrée au taquet. Coup d’œil à sa courbure, c'est impressionnant. Elle ne pourra pas m'échapper. Ses coups de tête sont violents, mais violents !

Tu ne devrais pas t'affoler ainsi, mon poisson. Je ne te tuerai pas, je n'en suis pas capable. 

Je veux juste te caresser, t'aimer un peu plus. Te posséder quelques instants. Je sais, c'est un jeu très cruel. Ne m'en veux pas.

Tu peux toujours passer sous cette branche recouverte de mousse, tu ne m'échapperas pas. Je te veux. Mon instinct de prédateur a surgi de millénaires. Tu t'es laissée berner  par un gros ours qui lance des tas de plumes : tant pis pour toi.

Je t'ai vue,
Je t'ai regardé,
Je sens tes coups de tête rageurs,
Je veux t'étreindre.

Le vide.

Je sais que je l'ai perdue. Cet amas de mousse a suffi à créer un mou dans les quelques centimètres qui me séparaient d'elle.

Sonné.

Incrédule.

Je tire quand même, à la main, sur le mince fil. Extrais ma mouche du tas d'immondices végétales. 

C'est fini.

Tout est fini. Le monde s'écroule.

Le Loriot chante de plus belle. La ferme, putain de piaf. Je veux du silence. Je veux pleurer.

Je me laisse choir dans la vase. Tout est fini. Fini, bordel.

C'est rien, c'est juste un poisson. Un grand poisson. T'en verras d'autres. C'est fini.

Oui, j'en verrai d'autres. Peut-être. Mais pas elle.




@ bientôt au bord de l'eau,

Gilles,




dimanche 17 mai 2015

Quelques semaines d'éternité...

Bonjour cher visiteur,

Comme vous vous en doutez, si je n'écris pas si souvent sur le blog ces temps-ci, c'est qu'il y a fort à faire... sur les berges de ma bien aimée Fecht...

Voilà quelques semaines maintenant que la nature se réveille en Vallée de Munster. A chaque jour sa nouveauté. Il y aura eu l'ail des ours, puis les salsifis sauvages. 


Maintenant les bergeronnettes couvent dans leurs nids. Et comme de bien entendu, les insectes qui nous intéressent tant font, progressivement, leur apparition.


Oh bien sûr, il y aura bien eu un petit coup d'eau pour calmer un peu tout ça, mais ça y est. On y est. Cela pêche fort. Certains jours...






























C'est un sentiment d'injustice qui m'habite : ces journées passent trop vite. Le jour où je serai Roi du Monde, ma première réforme s'intitulera : "Interdiction de travailler durant la période bénie de la pêche à la mouche s'étalant du 15 avril au 15 juin". 

Ainsi tout le monde pourra jouir des délices que nous offrent les rivières en cette saison.

Pour l'heure, certains ne se gênent pas à en profiter, et je les guide avec délectation :

Qui pour s'initier à la mouche,


Pas mal pour un début !
Qui pour découvrir la pêche en nymphe au fil,





Ou juste pour découvrir ma rivière de cœur et pêcher en Alsace :




Une belle du haut de la Vallée de Munster...

Les sedges arrivent... 


Pendue ! En sèche à Munster...



Bref, je voulais juste profiter de mon passage sur la toile pour partager avec vous mon euphorie. C'est le moment de l'année à ne pas rater, et c'est si bon !

Dès demain, je m'octroie une petite pause, direction les beaux ombres de... Non, je vous raconterai la prochaine fois.

@ bientôt au bord de l'eau,

Gilles,